L’État de Benue, au centre du Nigeria, est une nouvelle fois frappé par une attaque meurtrière. Cette région agricole, déjà marquée par des années de violences récurrentes entre éleveurs et agriculteurs, est confrontée à une insécurité persistante, alimentée par des tensions ethniques, religieuses et foncières. Le massacre survenu à Yelewata remet cruellement en lumière l’incapacité de l’État à protéger ses citoyens et à résoudre les causes profondes d’un conflit devenu l’un des plus meurtriers du pays.

Dans la nuit du vendredi 13 juin 2025, le village de Yelewata, situé dans l’État de Benue, a été le théâtre d’une attaque d’une violence rare. Vers minuit, des hommes armés non identifiés ont envahi la localité, tirant à vue sur les habitants endormis et incendiant méthodiquement maisons, boutiques et greniers. Piégés dans leurs habitations ou réfugiés dans un marché local, des dizaines de villageois ont été tués par balles ou brûlés vifs.
Parmi les survivants, Fidelis Adidi, un agriculteur de la région, a raconté avoir retrouvé les corps calcinés de sa première épouse et de quatre de ses enfants. Sa seconde épouse et un autre enfant ont survécu mais souffrent de graves brûlures. « Ils sont venus pour nous exterminer. Il ne reste plus rien », a-t-il confié à un média local, le regard vide. L’attaque, qui aurait duré près de cinq heures, a laissé derrière elle un paysage de cendres et de douleur. Des corps carbonisés ont été retrouvés dans les ruines du marché, certains méconnaissables. Selon plusieurs témoins, les assaillants semblaient bien organisés et lourdement armés.
Amnesty International a d’abord avancé un bilan d’une centaine de morts. Mais selon des chefs communautaires, le chiffre réel pourrait atteindre 150 décès, les recherches se poursuivant pour retrouver des disparus. Plusieurs familles ont été entièrement décimées. Outre les pertes humaines, les dégâts matériels sont colossaux. De nombreuses habitations et boutiques ont été totalement détruites, certaines abritant jusqu’à 50 personnes. Des stocks de grains, du matériel agricole et des animaux ont également été anéantis. Selon les autorités locales, les pertes s’élèveraient à plusieurs dizaines de millions de nairas, soit plus de 45 millions FCFA.
L’attaque de Yelewata s’inscrit dans une longue série de violences liées au conflit entre éleveurs nomades, majoritairement peuls, et agriculteurs sédentaires, souvent issus d’autres communautés ethniques. À la racine du conflit : la compétition pour l’accès à la terre et à l’eau, exacerbée par le changement climatique, la pression démographique et l’effondrement des mécanismes traditionnels de résolution des conflits.
Les agriculteurs accusent les éleveurs de laisser leurs troupeaux dévaster les cultures. Les éleveurs, eux, se défendent en invoquant une loi de 1965 qui leur garantit le droit d’emprunter certains couloirs de transhumance. En l’absence d’autorité forte et de justice équitable, les représailles se multiplient, entraînant une escalade de la violence dans plusieurs États du centre et du nord du pays. Si aucune revendication n’a été faite pour l’attaque de Yelewata, les autorités soupçonnent l’implication de milices d’éleveurs armés, voire de groupes criminels opérant dans un flou sécuritaire total. La porosité des frontières locales et la faiblesse des forces de sécurité dans les zones rurales favorisent leur action.
Face à l’ampleur du drame, le président Bola Tinubu a exprimé sa « profonde tristesse » et a promis de se rendre sur place ce mercredi, marquant sa première visite à Benue depuis deux ans. Il a qualifié les violences de Yelewata de « choquantes » et appelé à une intensification de la réponse sécuritaire. L’inspecteur général de la police, Kayode Egbetokun, a affirmé que « cette attaque est une attaque de trop contre notre nation », promettant de traquer les responsables. Pourtant, les habitants n’y croient plus vraiment. Plusieurs leaders communautaires dénoncent un manque de protection chronique et une justice aux abonnés absents. Pour beaucoup, ces déclarations officielles sonnent comme un refrain déjà entendu après chaque massacre.
Le carnage de Yelewata n’est pas une tragédie isolée, mais un nouveau chapitre dans un conflit structurel qui gangrène le centre du Nigeria. Tant que les tensions foncières, les fractures communautaires et l’impunité perdureront, les violences continueront d’endeuiller les campagnes nigérianes. Une paix durable nécessite bien plus que des visites présidentielles ou des déclarations sécuritaires : elle exige une réforme foncière inclusive, un dialogue sincère entre communautés et une justice impartiale. Faute de quoi, le Nigeria continuera de compter ses morts, sans fin en vue.
Sources : https://www.thenews.com.pk/amp/1322323-charred-bodies-shattered-lives-after-gunmen-kill-100-in-nigeria https://fr.africanews.com/2025/06/17/nigeria-le-bilan-des-attaques-dans-letat-de-benue-seleve-a-150-morts/