En 2023, la ville d’Abidjan, confrontée à une croissance démographique rapide et à une production massive de déchets organiques, cherchait des solutions durables. Parallèlement, les agriculteurs faisaient face à la flambée des prix des engrais importés, affectant toute la chaîne alimentaire. Pour répondre à cette double urgence, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a lancé, via son incubateur ELEVATE, le projet « BioDAF », qui transforme les déchets en ressources agricoles à travers un allié inattendu : la mouche soldat noire.
La Hermetia illucens, ou mouche soldat noire, est au centre du projet. Cet insecte inoffensif, originaire des Amériques, est élevé dans des « nids d’amour », des structures spécialement conçues pour favoriser la reproduction. Les larves, placées ensuite dans des bassins contenant des déchets organiques (fruits, légumes en décomposition), se développent en à peine deux semaines, multipliant leur taille par 10 000 tout en digérant de grandes quantités de déchets. Ce processus permet de réduire drastiquement le volume des biodéchets urbains tout en générant deux produits à forte valeur ajoutée : une farine riche en protéines pour l’alimentation animale, et un résidu organique transformé en fertilisant naturel.

Les larves séchées produisent une farine protéinée (jusqu’à 47%) utilisée dans l’élevage de poissons, volailles et porcs. Moins chère que la farine de soja ou de poisson, elle permet aux éleveurs de baisser leurs coûts d’alimentation tout en restant performants. Le digestat, ou « frass », est quant à lui un engrais organique particulièrement efficace. Des tests réalisés sur des cultures locales tomate, piment, oignon ou laitue montrent de meilleurs rendements que les engrais chimiques. En utilisant cette solution locale et circulaire, les agriculteurs peuvent réduire leurs dépenses jusqu’à 40 %, tout en préservant la qualité des sols.
En Côte d’Ivoire, la mise en œuvre du projet s’appuie sur une coopération étroite entre la FAO, l’Institut de l’économie circulaire d’Abidjan et la start-up BioANI. Des dizaines de producteurs, en majorité des femmes, ont été formés à l’élevage de mouches et à la valorisation des sous-produits. Face à la demande croissante en engrais organique et en aliments pour animaux, le projet envisage d’étendre ses capacités dans la région d’Abidjan. L’objectif est d’atteindre directement 200 femmes formées et jusqu’à 7 000 agriculteurs bénéficiaires indirects à travers le pays. Inspiré par ce succès, le Niger a lancé une initiative similaire dès 2021 à Maradi, portée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRAN). Là encore, la mouche soldat noire est utilisée pour renforcer la sécurité alimentaire tout en réduisant les coûts de production.
En associant écologie, agriculture durable et inclusion économique, la filière de la mouche soldat noire offre à l’Afrique de l’Ouest un modèle de résilience face aux crises alimentaire et environnementale. Grâce à des investissements modestes, elle transforme un problème urbain en opportunité économique et agronomique. La FAO, qui qualifie l’initiative d’exemple à suivre, y voit une voie prometteuse pour renforcer la souveraineté alimentaire et créer des emplois verts, tout en luttant contre la pollution.
Sources : https://lerural.bj/mouches-soldats-noires/ https://www.fao.org/newsroom/story/the-harmless-soldier-fighting-mounds-of-harmful-waste/fr https://www.fao.org/sustainable-development-goals-helpdesk/transform/good-practices/project-detail/biodaf—circular-bioeconomy-in-abidjan–from-food-waste-to-the-fork/en?utm_source=chatgpt.com