L’Afrique est aujourd’hui la région du monde qui compte le plus grand nombre d’enfants non scolarisés : 98 millions d’enfants et adolescents en âge d’aller à l’école primaire ou secondaire étaient hors du système en 2021. Et parmi ceux qui y sont, nombreux sont ceux qui n’apprennent ni à lire ni à compter dans des conditions dignes. Trop de gouvernements se contentent d’afficher des engagements éducatifs sans assurer les moyens, ni l’environnement nécessaires à un apprentissage réel. Le droit à l’éducation, pourtant reconnu comme fondamental, reste encore un privilège. Cette contradiction est au cœur des critiques portées par Human Rights Watch. Alors que l’Union Africaine a proclamé 2024 comme l’Année de l’Éducation, les promesses de garantir au moins 12 années de scolarité gratuite pour chaque enfant africain, plus une année de préscolaire, peinent à se concrétiser. Ces objectifs, intégrés à la Stratégie Continentale d’Éducation et aux Objectifs de Développement Durable, apparaissent aujourd’hui à portée de discours, mais encore bien loin des réalités vécues sur le terrain.

Le principal obstacle ? L’argent. Dans beaucoup de pays, les frais de scolarité, les fournitures, les uniformes ou le transport sont à la charge des familles. Pour les foyers modestes, cela signifie faire un choix impossible : envoyer un enfant à l’école ou nourrir toute la famille. L’éducation pré-primaire est particulièrement touchée : en Ouganda par exemple, malgré la gratuité de l’enseignement primaire depuis 1997 et secondaire depuis 2007, aucune prise en charge n’est prévue pour la petite enfance. Les écoles privées, très chères, creusent encore le fossé entre les riches et les pauvres, entre les zones urbaines et rurales. Mais les freins à l’éducation ne sont pas seulement financiers. Ils sont aussi profondément liés au genre. Des milliers de filles africaines abandonnent l’école chaque année parce qu’elles tombent enceintes ou parce qu’elles sont mariées trop tôt. Dix-huit des vingt pays où les mariages d’enfants sont les plus fréquents se trouvent en Afrique subsaharienne. Et dans ces mêmes pays, les grossesses précoces, l’absence d’éducation sexuelle et les violences sexuelles en milieu scolaire empêchent des millions de jeunes filles de rester sur les bancs de l’école.
Ces violences sont trop souvent ignorées, tolérées, voire couvertes. Dans plusieurs pays comme le Kenya, la Tanzanie, la Sierra Leone ou le Sénégal, des enseignants, des chauffeurs ou des responsables scolaires abusent de leur position pour exploiter des jeunes filles. Elles sont contraintes d’échanger leur silence, leur corps ou leur avenir contre des frais de scolarité ou quelques produits de base. Le système trahit les enfants qu’il devrait protéger. Et pourtant, l’espoir existe. Trente-huit pays africains ont déjà adopté des politiques en faveur des filles enceintes ou mères pour leur permettre de poursuivre leurs études. Des pays comme la Zambie, Madagascar ou la Sierra Leone montrent la voie en garantissant, par des lois concrètes, une éducation gratuite et inclusive, de la petite enfance au secondaire. Mais ces avancées restent fragiles si elles ne s’accompagnent pas d’un vrai changement de culture, de financement et de priorités.

Human Rights Watch appelle donc les gouvernements africains à aller au-delà des déclarations : à revoir leurs lois, à mettre fin à l’impunité des agresseurs, à protéger les adolescentes, à supprimer toutes les barrières financières, et à garantir un environnement d’apprentissage sûr, digne et accessible à tous. La vision de l’Union Africaine est ambitieuse : libérer le potentiel de toute une génération par l’éducation. Mais cette vision ne deviendra réalité qu’à la condition de décisions politiques fortes, courageuses, cohérentes. Car derrière les chiffres, il y a des enfants, des destins, des futurs à construire. Le sort de millions d’élèves africains est en jeu. Le moment d’agir, c’est maintenant.
Sources : https://www.hrw.org/news/2024/06/15/africa-accelerate-free-education-all