Femi Elufowoju Jr, dramaturge britannique d’origine nigériane, s’est lancé un défi audacieux : visiter les 54 pays africains avant ses 60 ans. Une quête intime commencée en 2015, lors d’une tournée théâtrale au Cap, où, face à la Montagne de la Table, il prend conscience d’un paradoxe : malgré ses racines et sa réputation d’expert des cultures africaines, sa connaissance réelle du continent reste limitée.
Il décide alors de partir à la rencontre de l’Afrique. Pendant sept ans, il traverse le continent, de l’Angola à la Mauritanie, du Rwanda au Sénégal. Ce voyage, terminé à Bangui en République centrafricaine en 2022, devient bien plus qu’un défi personnel : il révèle une Afrique inattendue, complexe, humaine. Loin des images de conflits et de pauvreté souvent véhiculées dans les médias occidentaux, Elufowoju découvre une Afrique de beauté, de modernité et de dignité. Il parle de la tranquillité des routes tanzaniennes, de la modernité de l’aéroport de Bamako, du silence saisissant au Mémorial du Génocide de Kigali, ou encore du regard lumineux des apicultrices de Kitui, au Kenya. Chaque rencontre nourrit une autre vérité : l’Afrique est bien plus que ce que l’on croit.
De ce périple est née une œuvre théâtrale : “54.60 Africa”. Ce n’est pas un récit de voyage, ni une autobiographie. Elufowoju choisit de raconter l’Afrique à travers onze personnages fictifs, tous porteurs de fragments de ce qu’il a vu, entendu, ressenti. L’objectif est clair : offrir une représentation multiple du continent, débarrassée des filtres réducteurs. Pour donner vie à cette fresque scénique, il s’entoure d’artistes engagés : Ayo-Dele Edwards, qui intègre les chants yoruba au texte, les conteurs sierra-léonais Patrice Naiambana et Usifu Jalloh, et les Ganda Boys, duo musical ougandais qui accompagne la pièce d’une bande-son à la fois vibrante et engagée.
Présentée au théâtre Arcola de Londres jusqu’au 12 juillet, la pièce arrive à un moment crucial. Malgré les avancées, les productions africaines restent souvent marginalisées sur les grandes scènes occidentales, et remplacées par des interprétations aseptisées du continent, comme Le Roi Lion. Avec “54.60 Africa”, Femi Elufowoju Jr revendique une autre manière de représenter l’Afrique : à travers ses propres voix, ses propres récits, ses propres formes d’expression. Ce projet est aussi un acte de reconnection pour les publics africains et afrodescendants. Il invite à repenser l’identité, à regarder vers le continent avec nuance, émotion et fierté. Pour Elufowoju, le théâtre devient un outil de mémoire, de transmission et de réparation.
« 54.60 Africa » ne raconte pas seulement un voyage. Il célèbre un continent, interroge notre rapport à lui, et rappelle qu’en Afrique, ce qui frappe le plus, ce n’est pas l’attente du progrès, mais le progrès déjà là dans les sourires, les gestes, la dignité quotidienne. Au fond, ce que cette œuvre nous tend, c’est un miroir : celui d’un continent encore trop souvent caricaturé, mais qui mérite d’être regardé avec respect, attention et curiosité. Elle réaffirme qu’au-delà des chiffres, des statistiques ou des gros titres, l’Afrique vit, crée, évolue et qu’il est temps de l’écouter raconter sa propre histoire. La pièce est à voir à Londres jusqu’au 12 juillet. Un rendez-vous nécessaire pour quiconque souhaite entendre l’Afrique autrement.
